Une alliance européenne pour l’agriculture régénérative

 EARA en bref

www.eara.farm

EARA pour European Alliance for Regenerative Agriculture.

Fondée en novembre 2023 par des fermiers européens, pionniers de l’agriculture régénérative.

Naissance de l’embryon en 2021 dans le but de créer une communauté d’agriculteurs européens qui portent et défendent une vision co-construite de l’agriculture régénérative.

 


L’alliance européenne pour l’agriculture régénérative est née

Fin 2023, un agriculteur belge a passé trois jours en Allemagne avec d’autres agriculteurs européens. Objectif : participer à la formation de l’association naissante EARA. Le magazine français TCS a récolté ses impressions et interviewé le directeur de cette nouvelle alliance européenne pour l’agriculture régénérative : ‘European Alliance for Regenerative Agriculture’ (EARA).

En novembre 2023, Géraud Dumont (lire le reportage sur sa ferme dans le TCS n°112) a passé trois jours en Allemagne avec d’autres agriculteurs européens au Chateau de Kirchberg. Il en est revenu rempli d’espoir pour l’agriculture régénérative dont il estime être en phase d’exploration sur sa ferme à Grez-Doiceau (Belgique).

Le château de Kirchberg abrite l’académie de l’agriculture biologique (https://akademie-schloss-kirchberg.de), un lieu de rencontre pour les agriculteurs, les militants de la société civile, les dirigeants, les représentants des communautés autochtones, les décideurs politiques et les jeunes acteurs du changement tout au long de la chaîne de valeur agricole.

 

Mais comment Géraud s’est-il retrouvé dans ce château ?

 

Géraud : « En mars 2023, on m'a simplement demandé de transférer dans les réseaux belges et français l'information au sujet de la création d'un mouvement européen sur l'agriculture régénérative. J'ai participé à quelques réunions sans vraiment savoir ce que c'était et je suivais ça un peu de loin. Puis en avril 2023 après un simple appel avec Simon Kraemer (un des fondateurs), le courant est très vite passé. J'ai décidé de participer à la première réunion des membres fondateurs d’une nouvelle alliance européenne pour une agriculture régénérative. Je pensais simplement y aller par curiosité. Ces dernières années, j'ai beaucoup travaillé sur le côté technique de l'agriculture de conservation des sols pour essayer d'avancer le plus vite possible et de trouver des solutions pour le futur. Je pense que grâce aux différents réseaux d'agriculteurs on a presque toutes les solutions pour faire face aux défis mais je commençais à être frustré par les nouvelles décisions politiques et la mise en oeuvre de la PAC qui partent d'une bonne intention mais qui brident complètement l'agriculture et le bon sens paysan. Les obligations que nous avons n'offrent plus aucune flexibilité et nous forcent à semer des couverts végétaux alors que jamais nous n'irions  semer  des cultures dans ces conditions. Les couverts végétaux sont les clés de notre système. Et quand je vois le résultat de ceux que nous avons semés l’an dernier une semaine après la date limite réglementaire par rapport à ceux qui ont semé dans les dates il n'y a pas photo.... Le ras le bol permanent d'être hors la loi pour faire ce qu'il faut pour nos sols m’a clairement incité à participer à la construction de cette nouvelle association. »

 

Qui as-tu rencontré à Kirchberg ?

 

Géraud : « J'ai rencontré plus de 50 agriculteurs de tout horizon en Europe : Açores, Pays-Bas, Finlande, Slovénie, Italie, Lituanie, .... de 50 ares à 4500 hectares, de 300 mm de précipitation annuelle à 2000 mm. Des agriculteurs conventionnels en agriculture de conservation des sols, des bios, des éleveurs en pâturages tournant dynamique (poules, vaches, cochons), des fermes collectives, des fermes écoles pour apprendre sur le terrain. Des gens qui sont à la fois chercheurs et agriculteurs, des agriculteurs de générations en générations, des "néo-paysans" qui cartonnent dans ce qu'ils font. Des agriculteurs de 30 à 70 ans voire plus. Des femmes et des hommes. »

 

Une chose que tu as apprise ?

 

Géraud : « La réelle mise en place de l'intelligence collective. Je l’avais déjà essayée quelques fois mais là elle a été super efficace ! »

 

Une chose que tu leur as apprise

 

Géraud : « La gestion des cultures sous couvert permanent. »

 

Une anecdote

 

Géraud : « Lors du premier déjeuner ensemble, j'étais assis par hasard à côté de Alexander Klümper, Juuso Joona et Soren Ilsoe. On commence à se montrer des photos de ce qu'on fait sur nos fermes et par facilité je prends mon compte X (Twitter). Et là tout le monde réagit en disant « ah c'est toi ! »  Et on se rend compte qu'on se suivait tous mutuellement en voyageant virtuellement sur les champs de Belgique, d’Allemagne, du Danemark et de Finlande. »  

 

Et qui fait tourner la boutique EARA ?

Géraud : « Les quatre personnes qui font tourner le truc ne sont pas agriculteurs, ils travaillent full time grâce à un mécénat privé. Ce que j’apprécie c’est que ce mécénat est sans retour, ce ne sont pas des personnes impliquées dans la chaîne agro-alimentaire ou dans un autre domaine lié à l’agriculture et l’alimentation. Le coordinateur (NDLR : en anglais on parle de Policy Steward) est Simon Kraemer. Il a étudié les sciences économiques et politiques. Il travaille depuis toujours dans ce genre de milieu (NDLR : politiques alimentaires, plaidoyer pour les sols). C’est lui le cerveau et la petite main. Tu ne l’entends pas, tu ne le vois pas mais il agit, c’est quelqu’un de brillant. »

Et l’agriculture Régénérative ?

On a travaillé sur une vision commune de l’agriculture régénérative. Au début ça se basait sur se passer complètement des pesticides. Puis on a évolué vers l’idée de diminuer toutes les perturbations, pas uniquement un point. Et ce qui est bien c’est qu’on ne définit pas l’agriculture régénérative par des pratiques mais par des résultats. C’était pas évident à définir. Le résultat des discussions est transcrit dans le white paper. »

Le livre blanc d’EARA

Pour diffuser sa vision, une entreprise diffuse son livre blanc ou son « white paper » en anglais. Deux semaines après leur création, les agriculteurs fondateurs de l'EARA ont présenté leur vision des écosystèmes agroalimentaires régénérateurs et la manière dont les décideurs de haut niveau peuvent apprendre à les gérer. Le livre blanc d’EARA indique quelles sont les clés de voûte de la gouvernance des systèmes agroalimentaires qui doivent être repensées pour favoriser la régénération.

EARA n’y a pas été de main morte pour diffuser son livre blanc :  elle a carrément eu une audience à la COP28 ! Notre « petit » belge, Géraud Dumont, faisait partie des cinq fermiers qui y ont présenté leur parcours. On peut retrouver Géraud à la minute 50 de la visioconférence qui s’est tenue au pavillon des systèmes alimentaires à Dubaï où le directeur de EARA était présent.

https://www.youtube.com/watch?v=C6blFT5NKDQ

Géraud y répond à la question « peut-on nourrir le monde avec l’agriculture régénérative » en décrivant ce qu’il met en place sur sa ferme. Sa réponse est claire : « that’s not an issue » (NDLR : le mot « issue » est un faux ami en anglais, il signifie « problème » et pas « issue »).


Les points clé du livre blanc d’EARA

 

Le jeune directeur d’EARA, Simon Kraemer, résume les points clé de leur livre blanc.

 

« Les agriculteurs fondateurs de l'EARA s'engagent à participer à la transformation de la gouvernance de l'écosystème agroalimentaire afin de créer des environnements économiques et réglementaires qui favorisent une régénération rapide et systémique au sein de l'exploitation.

Les principes suivants pour la gestion de l'agriculture régénératrice ont été retenus (chacun de ces principes étant accompagné de sous-principes décrits dans le document) : (1) la régénération est un processus d'amélioration, plutôt qu'un état permanent, (2) elle est axée sur les résultats en matière de santé sociale, écologique et économique, (3) elle est spécifique au contexte et (4) elle est systémique. »

Quel impact la future directive européenne "sols" pourra avoir sur l’agriculture régénérative ?

 

Simon Kraemer : « J'ai personnellement exercé un lobbying intensif à ce sujet au cours des deux dernières années avec la Soil Health Coalition (www.coalitionforsoilhealth.org). Et malheureusement, je ne pense pas que la future loi européenne sur la surveillance et la résilience des sols aura un impact significatif, pour trois points essentiels : (1) la manière dont la santé des sols est évaluée n'a que peu ou pas de valeur en pratique pour les gestionnaires des terres, (2) la densité de la grille de mesure est si faible qu’elle touche une partie trop insignifiante de parcelles que pour en influencer la gestion, (3) il n'y a pas d'objectifs juridiquement contraignants. »

 

Et votre prochaine action ?

 

Simon Kraemer : « Nous avons rédigé un document d'orientation des politiques. Dans ce document, l'EARA présente une proposition de refonte de la politique agricole commune (PAC) de l'UE vers une approche centrée sur l'agriculteur et enracinée dans la santé de nos agroécosystèmes.

L'EARA propose de supprimer progressivement les paiements directs découplés sans compromettre les revenus des agriculteurs, les moyens de subsistance ou la productivité. Nous soutenons qu'en passant à des paiements directs équitables et simples basés sur l'hectare et associés à la performance agroécologique, la PAC peut réduire la dépendance des agriculteurs vis-à-vis des intrants externes et augmenter la résilience au changement climatique au sein de l'exploitation. Une telle conception de la PAC, dont les paiements sont basés sur les résultats pour la santé des agroécosystèmes, vise à favoriser la simplification à long terme et la sécurité de la planification dans le secteur agricole. Elle vise en outre à faciliter la transformation rapide des systèmes de production agricole, afin qu'ils deviennent la base résiliente des écosystèmes agroalimentaires européens à l'épreuve du temps et de la nature. Tout cela en parallèle d'un réengagement positif et significatif du public à l'égard des modes de vie ruraux, du bien-être des agriculteurs, des régions locales, des paysages et des communautés dans toute l'Europe. »


Frédérique Hupin
Pour obtenir le pdf de l'article publié dans la revue TCS :