La pression foncière agricole en Brabant-wallon monte

Les agriculteurs face à la pression foncière

Une analyse dans la revue Espace-Vie




Brabant-wallon, terre agricole

La province du Brabant wallon est on ne peut plus agricole ! 60% de sa superficie y est consacrée, contre 44 % en moyenne pour la Wallonie. Logique géographique, le Brabant-wallon est situé sur les meilleurs sols d’Europe en regard du modèle agricole qui prévaut. Les cartes numériques disponibles gratuitement sur WalOnMap nous annoncent des sols sablo-limoneux et limoneux pour quasi l’entièreté de la province du Brabant wallon. https://geoportail.wallonie.be/walonmap Aller dans le « catalogue du géoportail » et choisir la rubrique « nature et environnement », sous rubrique « sol et sous-sol » et enfin « carte des principaux types de sol ». Sous le sol, une géologie faite majoritairement de sables, abritant d’ailleurs la nappe phréatique des sables du bruxellien, encore une richesse.

Un sous-sol sableux bien drainant qui évite les accumulation d’eau, surmonté d’une couche de limons fertiles. On y ajoute un climat tempéré, voilà un territoire idéal pour la pomme-de-terre (qui n’aime pas l’humidité) ou pour la betterave qui a besoin d’un sol profond sans cailloux. En Brabant-wallon, c’est le froment qui occupe le plus d’espace avec 19 041 hectares qui lui sont consacrés. Les pommes de terre suivent (7 246 hectares) et les betteraves sucrières arrivent en troisième position avec 6 847 hectares.

Nous voilà presque dans le croissant fertile mésopotamien qui a permis l’essor des premières civilisations. Là où on peut cultiver, on peut aussi y vivre et se développer !

Oui mais voilà, la proximité de Bruxelles et des grands axes en font également une destination de rêve pour toute une classe moyenne en recherche d’espace, de verdure et de paysages bucoliques. La superficie dédiée au bâtis (en ce compris les jardins) représente 25% de la superficie totale de la jeune province contre 15% en moyenne en Wallonie. 

La pression sur les épaules des agriculteurs brabançons

Les statistiques ont parlé (voir encart). Le Brabant wallon : les avantages de la ville sans ses inconvénients, les avantages de la campagne … avec sa réalité !

Du côté des agriculteurs brabançons, le tableau n’est pas évident à tenir. La pression immobilière pèse sur le prix de leur principal outil de travail qu’est la terre. La densité de population amène des regards permanents et des incompréhensions sur la réalité du métier d’agriculteur qui ajoutent une pression psychologique à la pression foncière.

Comme le résume si bien le numéro un de la nouvelle revue paysanne et citoyenne qui tranche, Tchak, dans son enquête sur l’accès à la terre : « Ca et là, des nobles, des patrons, des hommes d’affaires, des financiers. De plus en plus. Et aussi des sociétés de gestion, leur corolaire. » Le prix de la terre, devenue valeur refuge, explose.

Le notaire Renaud Grégoire, interrogé dans Le Sillon belge (le journal agricole de référence en Wallonie) du 16 septembre 2021 le confirme : « Au même titre que les autres segments de l’immobilier, la hausse du prix des terres agricoles se poursuit inexorablement. La faiblesse des taux d’intérêt, la rareté des biens mis sur le marché et la forte augmentation du prix des matières premières expliquent principalement cette constante hausse des prix ». Sur les six premiers mois de l’année 2021, le prix moyen d’un hectare de terres agricoles en Belgique a fortement augmenté et enregistre une hausse de 10,3 % (baromètre des terres agricoles de la Fédération du Notariat). Le rapport 2021 de l’Observatoire du Foncier Agricole édité par la Wallonie est sorti en octobre. Le constat était prévisible : c’est en Brabant-wallon que le prix moyen à l’hectare est le plus élevé (51.782 €/ha). Il est 1,7 fois supérieur au prix moyen wallon.

Face à cette montée des prix, le portefeuille des agriculteurs ne fait pas le poids. Certes, le bail à ferme les protège et leur permet d’avoir une vision à long terme pour une partie des terres qu’ils cultivent, mais le stress règne pour souvent bien plus de la moitié de leur surface. Les petits agriculteurs sont découragés. Le métier attire moins. Arrivés à l’âge de la retraite, ils arrêtent sans repreneur. Le nombre d’exploitations agricoles diminue et son corollaire arrive : la superficie des ferme grandit. Les financiers sont aux aguets pour placer leur argent dans une valeur sûre. Dès qu’une terre est à vendre en Brabant wallon, il ne faut pas longtemps pour qu’elle soit acquise.

Helmuth Veiders est journaliste agricole et rédacteur en chef de « Der Bauer », le journal du syndicat agricole germanophone. Il nous exprime son sentiment. « Ce ne sont pas forcément des investisseurs qui chassent les (petits) agriculteurs, mais les fermes arrêtent faute de successeur. Alors on vend au plus offrant. Et comme les investisseurs ont plus de moyens financiers que le voisin agriculteur, on se dirige vers une agriculture de trust où de grosses structures financières font gérer leurs terres par des employés ou par des structures indépendantes qui se sont équipées en machines. Quand c’est le travail horaire qui fait la rémunération, la déresponsabilisation sur la qualité du travail arrive vite. On privilégie la rentabilité à court terme, on en fait le plus possible en le moins de temps possible. On rentre sur les terres même si la météo est mauvaise et on salit les routes en sus de tasser le sol. On sort l’épandeur même si les barbecues sont de sortie. Et c’est l’agissement d’un seul qui porte le discrédit sur toute une profession. »

Benoît Lempereur est agriculteur à Perwez. L’agriculture est une histoire de famille chez lui. Il peut compter sur un historique (son père, ses oncles) pour s’assurer une partie de son outil de production (des terres à cultiver sous bail à ferme) mais il doit mettre la main au portefeuille quand c’est possible. « Côté foncier, ce ne sont pas vraiment les habitants ou les  nouveaux habitants qui posent problème ce sont plutôt les grosses sociétés financières. J’ai récemment acheté des terres que je cultivais et qui étaient mises en vente par le propriétaire (NDLR : l’équivalent de 5% de la superficie qu’il cultive). Entre agriculteurs ça se passe bien je trouve. Quand une terre est à vendre, on laisse d’abord la possibilité à l’agriculteur qui les cultive historiquement de les acheter. Mais on ne discute pas le prix car on sait que les propriétaires trouveront des acheteurs. Ca fait encore monter les prix. Ce que j’ai racheté, ça vaut le prix d’une très très belle maison. Et tout ça pour ne rien n’avoir en plus puisqu’on les cultivait déjà. Mais on veut continuer de garder notre outil de travail. Ca nous fait peur, on ne pourra jamais acheter toutes les terres qu’on cultive ».

Après la pression foncière, la pression des citoyens

Les agriculteurs en ont marre d’être la cible de tous les reproches. Quand ce n’est pas le coq qui chante, c’est la moissonneuse qui fait du bruit, ou le tracteur qui provoque des embouteillages aux heures de pointe. Les inondations récentes ont apporté aussi leur lot de méprises quand ce n’était pas la chute de biodiversité et les épandages de pesticides. Et si chacun balayait devant sa porte avant de médire, et si « critiquer les agriculteurs la bouche pleine » était chose facile, et si cracher sa haine sur les réseaux sociaux, caché devant un écran faisait preuve d’une certaine lâcheté. Oui tout le monde doit évoluer, l’agriculture aussi. Mais par quel moyen ? La critique a-t-elle fait ses preuves en matière d’incitant au changement ? Et si la communication en direct était source de solutions pour tous ?

Communiquer mais aussi se réinventer

En octobre dernier, Benoît Lempereur avait dessiné un cœur et un mouton en crop circles dans son champ formant un parcours pédagogique qui a attiré plus de 650 personnes ! Les agriculteurs voisins étaient de la partie pour guider les citoyens au sein du parcours semé de stands explicatifs sur toutes les mesures adoptées par les agriculteurs pour améliorer l’environnement. De nombreux organismes de vulgarisation et de conseil agricoles n’avaient pas hésité à mettre la main à la pâte ainsi que l’ADL de la commune pour coordonner l’événement.

Photo prise en drone avec le mouton et le coeur. Légende : Une belle action de communication créée par des agriculteurs.

Simon Lacroix, agriculteur participant à cette action et cultivant sur Thorembais-saint-Trond était motivé : « Il faut qu’on se mette ensemble pour redorer notre blason, même si ce n’est pas nous qui l’avons salit. On a voulu montrer au grand public ce qu’est vraiment notre métier et tout ce qu’on met en place pour préserver l’environnement ». Simon Lacroix a 37 ans. Au moment de reprendre la ferme familiale, la pression foncière pèse lourd sur les épaules. Il a dû se réinventer et se diversifier. Il s’est lancé dans « l’entreprise agricole » c’est-à-dire qu’il amortit ses machines agricoles en travaillant chez d’autres agriculteurs. Il élève des moutons dont la viande est vendue en colis en circuits courts. Il a continué ce qu’avait commencé son père, en augmentant la proportion de ses cultures dévolues à l’agriculture biologique. Il livre à un maraîcher des produits issus de grandes cultures bio dont la production à grande échelle est facilitée par la mécanisation. Le maraîcher se charge de la vente en direct et de la production de légumes sur petites surfaces en désherbant à la main. Une association qui a tout à gagner.

 

Interview

Isabelle Evrard, Députée provinciale en charge de l’agriculture

Quelles sont les spécificités du territoire agricole brabançon wallon et les difficultés rencontrées par les agriculteurs liées à la pression foncière sur le territoire ?

Le Brabant wallon est caractérisé par la grande qualité de ses sols et par une densité de terres agricoles la plus élevée de Wallonie. En parallèle, le Brabant wallon présente une densité de population importante, également la plus élevée de Wallonie. Cette situation engendre de nombreuses interactions entre les agriculteurs et les citoyens. Ces dernières années, nous avons constaté de nombreuses difficultés de cohabitation. Bon nombre d’agriculteurs souffrent de l’image véhiculée de leur métier et des conflits récurrents au sujet des nuisances sonores, olfactives, de la poussière, des pulvérisations ou encore de la circulation routière. Depuis quelques temps, nous déplorons également de manière récurrente certaines incivilités de citoyens qui ne respectent pas les activités agricoles, notamment en jetant des déchets dans les cultures, en traversant les champs lors de leurs promenades, en détruisant alors le travail de l’agriculteur parfois sans même s’en rendre compte ou encore en laissant leurs chiens en liberté à proximité des troupeaux.

D’autre part, la pression foncière très importante en Brabant wallon engendre une forte croissance de la valeur des terrains agricoles et dès lors, une difficulté accrue d’accès au foncier pour les porteurs de projets agricoles ou les petites exploitations.

 

Quelles sont les actions menées aujourd’hui par le Province pour faire face aux pressions spécifiques au Brabant wallon sur le secteur agricole ?

En ce qui concerne les problèmes de cohabitation, notre volonté est de favoriser au maximum la communication et de renforcer la connaissance des impératifs agricoles auprès de la population. Nous avons élaboré une charte de la ruralité propre au Brabant wallon avec différents partenaires. Cette charte a pour ambition de présenter d’une part les engagements des agriculteurs envers la société et d’autre part, les engagements attendus de la part des citoyens en milieu rural. Cette charte type vient d’être transmise à chaque administration communale de la Province qui pourra ensuite se l’approprier en la personnalisant.

Nous soutenons également depuis de nombreuses années les producteurs locaux via la plateforme logistique Made in BW de l’asbl BWAQ (Brabant wallon Agro-Qualié) dont l’objectif est de fournir aux agriculteurs un service complet leur permettant de commercialiser leurs produits locaux (logistique, facturation, démarchage, …). De manière plus globale, le soutien à la consommation de produits locaux est un levier permettant de renforcer et d’améliorer les échanges entre les habitants et les agriculteurs.

 

Quelles sont les perspectives d’actions à venir ?

Très conscients des difficultés spécifiques au Brabant wallon dans le cadre de l’accès au foncier agricole, nous travaillons actuellement à la caractérisation du foncier agricole détenu par des administrations publiques sur le territoire. L’objectif à terme est d’élaborer avec les pouvoirs publics locaux des stratégies de gestion de ces espaces publics agricoles permettant de pérenniser les activités des agriculteurs locaux, d’améliorer l’accès au foncier agricole mais aussi de renforcer le maillage écologique (la biodiversité) et la lutte contre les coulées boueuses et les inondations. Développer les circuits-courts également.