Une ferme « climat-positive »

Payé pour séquestrer le carbone

C’est une première belge dans l’histoire de l’agriculture : on va rémunérer les agriculteurs pour le carbone séquestré dans leurs champs !

L'Avenir, édition nationale du 24/09/2020

Luc Joris vient de rentrer dans un programme de rémunération du carbone séquestré dans ses champs. Il pourrait recevoir plus de 2000 € chaque année.

Luc Joris est agriculteur à Chastre, où il gère une ferme de 225 hectares de cultures. Betteraves, chicorées, endives, pommes de terre, pois, céréales, maïs et prairies. Ça fait longtemps qu’il réfléchit, qu’il discute avec des collègues agriculteurs, qu’il lit des revues agricoles spécialisées dans le but de diminuer le travail du sol, les pesticides et les engrais synthétiques.

S’il avait déjà compris que son sol ne devait jamais rester nu et qu’il fallait le couvrir en permanence pour y injecter du carbone grâce à la photosynthèse des plantes, il lui fallait par ailleurs arrêter de déstocker ce carbone durement gagné, à chaque fois qu’il travaillait le sol. Il y a trois ans, il fait le grand saut et arrête le labour profond.

Les secrets d’un bilan séquestrateur de carbone ?

L’arrêt du travail profond du sol permet d’une part d’arrêter de déstocker du carbone, d’autre part, c’est une économie de gasoil non négligeable. Retourner la terre sur une profondeur de 30 cm est le poste le plus énergivore d’une ferme.

La couverture permanente des sols couplée à l’utilisation de plantes de la famille des légumineuses permet un apport de carbone gratuit grâce à la photosynthèse et d’azote gratuit grâce à la fixation symbiotique permise par les légumineuses. 

L’utilisation de compost et de fumier permet de diminuer les apports d’engrais minéral fabriqué par les usines d’engrais très énergivores en pétrole. C’est tout gain pour le bilan carbone global de la ferme qui tient compte du carbone nécessaire aux intrants utilisés sur la ferme.

D’une pierre deux coups, il améliore son revenu tout en ayant des pratiques positives pour l’environnement. En effet, en économisant des intrants (gasoil, engrais synthétiques), il diminue les rejets de CO2 issus de la fabrication et de l’utilisation de ceux-ci. En plus, il augmente le contenu en matière organique de ses sols (le carbone) et obtient des terres plus résilientes face à la sécheresse, aux inondations et aux maladies.

Luc Joris a également planté des haies, éléments favorables à son bilan carbone. Il disposait d’une grande parcelle de 45 hectares d’un seul tenant qu’il n’a pas hésité à couper en trois avec des haies multi-espèces jouxtées de bandes d’herbes diverses destinées à fournir le gîte et le couvert aux insectes auxiliaires.

Pour l’année 2020, la tonne de carbone séquestrée sera rémunérée 27,50 € et rapportera un peu plus de 2000 € à la ferme de Luc Joris. Le prix de la tonne de carbone devrait évoluer à la hausse et l’agriculteur estime avoir encore des marges de progression sur la séquestration : « stocker du carbone, ce sont deux actions : d’abord arrêter la dégradation du stock d’humus, car c’est là qu’est le carbone et ensuite nourrir le sol grâce à des couvertures de sol variées et des cultures performantes, le tout sans injecter trop de chimie, car la chimie, c’est du carbone qui vient d’ailleurs ».


« L’agriculteur doit-il choisir entre écologie et rentabilité ? Non », affirme Chuck de Liedekerke, CEO de Soil Capital, société de conseil agronomique indépendant qu’il a co-créée avec Nicolas Verschuere en 2013. « C’est possible d’aller chercher de la rentabilité au travers de pratiques qui régénèrent les sols » continue le financier. Et son associé, ingénieur agronome et agriculteur, poursuit : « Notre objectif est que l’agriculture régénérative des sols puisse devenir la norme plutôt que l’exception ». A cette fin, ils ont créé un programme de rémunération du carbone dans les sols. Il vient de démarrer en Belgique et en France.

« L’agriculture peut devenir une partie de solution au changement climatique. »

En pratique, Soil Capital réalise avec l’agriculteur qui rejoint le programme, un diagnostic de la ferme afin d’établir un bilan gaz à effets de serre (GES) qui calcule la balance carbone de l’exploitation. Une analyse des sols est nécessaire.

Le bilan est calculé avec le Cool Farm Tool, un outil de quantification développé par des universités. Il est ensuite analysé afin d’établir un plan dactions qui amélioreront à la fois la rentabilité de l’exploitation et son impact sur l’environnement et le climat. Le plan de gestion pour les changements de pratiques et un contrat sont approuvés et signés par l’agriculteur en début de programme.

Pendant minimum 5 ans, l’agriculteur sera accompagné, formé et soutenu par l’expertise agronomique de Soil Capital. Le bilan GES sera effectué annuellement et des auditeurs externes auront la possibilité de visiter l’exploitation pour vérifier l’exactitude des pratiques déclarées par l’agriculteur. En outre Soil Capital propose des journées d’apprentissages avec des experts locaux et internationaux afin d’enrichir le parcours de l’agriculteur. Celui-ci peut également intégrer une communauté d’échanges de pratiques avec d’autres agriculteurs.

A l’issue des 5 premières années, débute une période de rétention de 10 ans qui a pour but de sécuriser et garantir la séquestration du carbone sur le long terme. Une analyse des sols ainsi que des contrôles par imagerie satellitaire seront effectués afin de prévenir ou détecter les principaux facteurs de risque : travail du sol, insuffisance de couverts végétaux…

L’agriculteur s’engage dans la démarche par une adhésion annuelle de 980 Euros HT couvrant en partie l’accompagnement dans son changement de pratiques. Dès la première année du programme, l’agriculteur reçoit des certificats carbones certifiés ISO 14064-2 correspondants à sa performance. Les certificats ne sont pas des « droits à polluer » car ils ne sont pas liés à un mécanisme de compensation et les entreprises acquéreuses ne peuvent pas les utiliser pour revendiquer une neutralité carbone. Ces certificats sont vendus aux entreprises sur base volontaire.

« On a confiance dans les mécanismes qu’on a mis en place. On va continuer de développer les outils et la démarche » conclut le CEO de Soil Capital.