La première cartographie mondiale des vers de terre


Un projet faramineux vient de voir le jour. 140 chercheurs du monde entier avec pour point commun « l’amour des vers de terre » ont uni leurs connaissances pour construire une énorme base de données, répertoriant les vers de terre observés lors d’études scientifiques. Premier résultat sorti : une carte du monde pointant l’abondance ainsi que la diversité des espèces observées. Cela fait pas moins de 7000 sites sur lesquels les vers de terre ont été étudiés dans 57 pays. Cette étude est tellement énorme, que la prestigieuse revue Science, vient d’en faire la page de couverture de son dernier numéro.

Découvrez les conclusions de cette étude, de manière vulgarisée, dans l'article rédigé pour la revue TCS.
Télécharger l'article ici ou lisez-le ci-dessous.
Et en bonus : le récit d'une activité de comptage des vers de terre menée avec des enfants de 5 à 8 ans chez un agriculteur. Ca se passe sur mon deuxième blog consacré exclusivement à l'agriculture de conservation des sols. 
 
Auteur Frederique Hupin
 
 Les changements climatiques auront un effet majeur sur la diminution des populations de vers de terre. Crédit photo : Frédérique Hupin
 

La première cartographie mondiale des vers de terre

 Un observatoire mondial des vers de terre est lancé !

Un projet faramineux vient de voir le jour. 140 chercheurs du monde entier avec pour point commun « l’amour des vers de terre » ont uni leurs connaissances pour construire une énorme base de données, répertoriant les vers de terre observés lors d’études scientifiques. Premier résultat sorti : une carte du monde pointant l’abondance (en nombre et en masse) ainsi que la diversité des espèces observées. Cela fait pas moins de 7000 sites sur lesquels les vers de terre ont été étudiés dans 57 pays. Cette étude est tellement énorme, que la prestigieuse revue Science, en a fait la page de couverture de son numéro d'octobre 2019.

 


Les vers de terre font la Une de la revue Science. 

Crédit : revue Science.

 La carte, vous ne la verrez pas. Elle est réservée aux abonnés de la revue Science et aux journalistes qui peuvent en faire la promotion sans la montrer !

Alors imaginez …

Une carte du monde ponctuée de plus ou moins gros points en fonction des lieux de recherche répertoriés. La majorité des sites se situent en Europe de l’Ouest et au Nord Est des Etats Unis. Ensuite, arrivent les sites d’Amérique du Sud et le Sud Est de l’Australie. Puis quelques points épars apparaissent en Asie et en Afrique centrale. 7000 sites au total ! Entre 5 et 150 individus y ont été recensés par m² (gamme des valeurs les plus fréquentes). La tendance : davantage de vers de terre dans les régions tempérées (Royaume-uni, France, Italie), la pampa d’Amérique du Sud et ses régions environnantes que sous les tropiques (Brésil, Afrique centrale, Inde). La typologie des régions tempérées, vous la connaissez. La pampa d’Amérique du Sud est caractérisée par un système à majorité de prairies permanentes.

On note toutefois davantage de diversité régionale dans les pays tropicaux. Il y existe des espèces endémiques, c’est-à-dire des espèces qui ont une aire de répartition très réduite.

La France participe

Un des 140 chercheurs auteurs de cette étude est français et travaille au CIRAD à Montpellier. Raphael Marichal est écologue du sol, spécialisé dans les vers de terre. Il nous apprend qu’à l’heure actuelle, 4700 espèces de vers de terre ont été décrites dans le monde. Et c’est sans compter ceux qui se cachent encore. On estime à 10.000 le nombre d’espèces de vers de terre existant, voire même plus selon d’autres sources. En France ce ne sont pas moins de 130 espèces avec une diversité plus prononcée au Sud de la Loire (50 espèces différentes au Nord contre 120 espèces différentes au Sud).

Vous pensiez tout connaître sur les vers de terre grâce aux trois termes « épigé », « anécique » et « endogé », on est loin du compte. Ces trois termes ont été définis par le français Marcel Bouché dans les années ’70. Il s’agit de « catégories écologiques » toujours utilisées par les chercheurs et bien pratiques pour nous. Raphael Marichal nous informe par ailleurs que l’énorme inventaire réalisé par Marcel Bouché en 1972 sur la France va être à nouveau réalisé : « Bouché 2022 » ! http://www.reseau-tebis.fr/les-projets/echantillonnage-participatif-bouche2022/  Tous les sites étudiés le seront à nouveau afin d’étudier l’évolution des populations de vers de terre. Sachez messieurs les chercheurs que les champs des ACistes situés à proximité de vos points de comptage vous sont également ouverts. Qui sait s’ils s’y seront réfugiés ?

Les conclusions de l’étude

Les menaces qui planent sur ce monde sous-terrain sont multiples. L’usage du sol (la déforestation, l’urbanisation), le labour, les engrais minéraux, les pesticides et on rajoute une couche suite à cette étude : le changement climatique !

A l’échelle d’un champ, le pH et le taux de carbone influencent la diversité des vers de terre, mais à l’échelle globale de la planète, ce sont d’autres facteurs qui prédominent. Et aucune étude n’avait encore mis ces paramètres en évidence. Une fois énoncé, ça paraît simplissime : ce sont l’eau et la température qui ont été révélés par cette étude comme les facteurs prédominants de l’impact sur les vers de terre à l’échelle mondiale. Logique quand on sait que les vers de terre respirant par la peau, ils doivent la garder humide et sont donc sensibles à la sècheresse. Le corolaire arrive très vite : les changements climatiques auront un effet majeur sur la diminution des populations de vers de terre ! Et si certaines espèces de vie sur terre peuvent s’adapter en migrant dans une certaine mesure (les graines disséminées par le vent et l’eau, les insectes volants, …), pour le ver de terre c’est impossible. Les barrières naturelles sont là : montagnes, cours d’eau, urbanisation. Le ver de terre peut tout au mieux se déplacer de quelques mètres par an. Les rares fois où il a migré, c’était sous forme de cocon dans de la terre transportée par l’homme. Pour l’anecdote, n’en déplaise à Donald Trump, en Amérique du Nord, il n’y a pas de ver de terre natif, mais il y a bien eu une invasion de vers de terre européens !

Avec le changement climatique, les scientifiques prévoient donc une disparition des vers de terre et plaident pour l’intégration des organismes du sous-sol dans la recherche sur la biodiversité.

 

Le but ultime de cette étude était d’étudier les configurations globales (à l’échelle planétaire donc) des communautés de vers de terre afin de prédire comment les changements des communautés de vers de terre peuvent affecter le fonctionnement des écosystèmes ! Wouaw. Heureusement, à l’avenir, les vers de terre pourront trouver le gîte et le couvert dans les champs cultivés en agriculture de conservation des sols. La clé pour leur sauvegarde : augmenter la matière organique et diminuer le travail du sol. Et le défi ultime : diminuer les herbicides et l’azote minéral.

Frédérique Hupin

 

Source : https://science.sciencemag.org/content/366/6464/480