La géographie au service des sols

EJP Soils et Worldsoils, deux gros projets de recherche sur les sols, alimentent la nouvelle base de donnée européenne des sols.

Une interview du professeur Bas van Wesemael publiée dans le n°111 (janv-févr 2021) de la revue agricole française TCS

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Vous ne jurez que par vos sacro-saintes bottes ? Et pourtant que d’émerveillement quand vous avez parcouru pour la première fois vos parcelles au travers de la caméra d’un drone. Et que diriez-vous de les observer par satellite et de pouvoir en déduire la quantité de carbone ? Les outils scientifiques doivent encore faire un peu de chemin mais un grand pas vient d’être lancé au niveau européen le 4 décembre avec le lancement de l’observatoire européen des sols.

Pendant les deux années à venir, l’observatoire européen des sols se donne pour ambition de devenir une grande plateforme dynamique, incluant les bases de données émanant de différents organismes de recherche européens. Tous convergents vers les mêmes objectifs : continuer la recherche et l’innovation sur la connaissance des sols, partager les acquis et sensibiliser à l’importance de cette ressource.

Dans le TCS n°109, on vous parlait du programme EJP Soil coordonné par Claire Chenu d’INRAE. Ce programme de recherche européen lancé en février 2019 fournira de précieuses informations pour alimenter l’observatoire européen des sols. Un autre programme de recherche, appelé Worldsoils, financé cette fois par l’Agence Spatiale Européenne (ESA), y contribuera également. Il a démarré en septembre 2020. Son but est de cartographier la matière organique dans les sols grâce aux satellites !

Un satellite ne prélève pas de sol, ni encore moins ne l’analyse ? Et bien si. Les deux satellites européens « Sentinel 2 » ont été mis en orbite en 2015 et 2017. Tout comme les laboratoires le font pour analyser un échantillon de sol, ces satellites utilisent la spectrométrie, cette technique d’analyse par réflectance qui déduit la composition d’un objet en fonction des rayons lumineux qu’il réfléchit (et donc de ce qu’il a absorbé comme lumière). La Belgique, qui était déjà à la pointe de la numérisation de sa carte des sols, en profite pour maintenir son avance et apporter sa contribution à la cartographie des sols par satellite. C’est l’équipe de recherche du professeur Bas van Wesemael, de l’UCLouvain qui apportera sa pierre à l’édifice.

« Nous travaillons dans ce projet ESA depuis septembre » explique Bas van Wesemael, directeur de cette recherche et professeur de géographie à l’université de Louvain depuis 21 ans. « Pour l’instant nous utilisons la base de données des sols LUCAS pour calibrer les modèles de prédiction de carbone dans le sol par satellite. Cette base de données provient du JRC (Joint Research Centre), l’unité de recherche de la Commission européenne qui a lancé l’observatoire des sols et qui gère les bases de données européennes sur les sols ».

La base de données LUCAS, est un ensemble de données produites par l’office statistique de l'Union européenne, Eurostat. Le JRC a lancé un échantillonnage des sols pour compléter une partie des points de cette base de données.

A quelle précision travaille-t-on

Bas van Wesemael a l’habitude de collaborer avec des agronomes qui le titillent sur l’échelle de ses données satellites et sur les bases de données utilisées. Ce hollandais de souche n’en est pas démonté pour autant : « La qualité de la donnée est moindre que celle que l’on peut obtenir par un profil de sol, mais moi je peux parcourir tous les sols d’Europe tous les cinq jours. Le satellite Sentinel passe tous les cinq jours au-dessus de nos têtes. Pour peu que la météo soit bonne, cela nous procure de nombreuses images. Elles ne sont pas toutes exploitables mais il nous suffit de deux images par an pour faire les cartes, avec des points (des pixels) tous les 20 mètres. On croise ensuite les données avec les analyses de sol reprises dans la base de données LUCAS pour vérifier les corrélations entre le terrain et l’observation satellite. Pour le projet World SOIL, l’ESA nous demande une résolution de 50 m. »

La base de données LUCAS comprend des données provenant de 20 0000 échantillons de sol prélevés dans 25 pays de l’UE. Pour la Belgique, les données LUCAS 2015 se basent sur 146 points d’analyse, pour la France sur 3050 points. Ces données sont mises à jour tous les trois ans.

Et pour être complet, le professeur ajoute : « Il faut savoir que le résultat obtenu par la spectrométrie est la concentration en carbone du sol (en gramme par kilo) pour la couche de labour. Si l’on veut obtenir des tonnes par hectare, on doit multiplier par la profondeur et par la densité du sol. En outre, cette mesure ne peut se faire qu’au moment où le sol est nu (quelques jours après le semis ou la moisson suffisent pour capter l’information). Pour les forêts et les prairies on utilise une autre méthode, le digital soil mapping. C’est cette méthode qui a été utilisée par le projet Carbiosol pour cartographier le carbone en Wallonie ». Mais ça c’est une autre histoire.

 

Voici encore une preuve (s’il en fallait encore) que le carbone des sols agricoles devient un dossier majeur et certainement un moyen d’appuyer les pratiques de séquestration du carbone dans les sols. Dans tous les cas, l’union fait la force. Même s’il est encore difficile de baser des applications agronomiques de terrain sur ces cartes satellites, la complémentarité des sciences agronomiques et géographiques a de l’avenir.

Frédérique Hupin

Ressources :

https://ec.europa.eu/jrc/en/eu-soil-observatory

https://www.world-soils.com/

http://geoportail.wallonie.be/home/ressources/autour-du-geoportail/carbone_bio_sol_carbiosol.html