Les pommes de terre bio zéro phyto sont arrivées

Un agriculteur fait pousser un hectare de pommes de terre « bio zéro phyto ».

Article publié dans L'Avenir du 01/08/2020

A Jauche, l’agriculteur Eddy Hermans n’en n’est pas à ses premiers projets pour tenter de diversifier sa ferme, de rencontrer les attentes des consommateurs et les siennes aussi. Tester de nouveaux débouchés, tenter des nouvelles cultures, des nouveaux modes de production plus respectueux de l’environnement, tout en restant rentable. Une partie de ses terres sont cultivées sous le label bio. Deux hectares sont également consacrés au maraîchage. Et voilà que depuis un an, Eddy Hermans tente un hectare de pomme de terre bio zéro phyto destinée à la consommation, en vente directe.

 

La culture de la patate, Eddy Hermans la connaît bien. Cela fait plus de 20 ans qu’il la pratique. Si cette culture est très développée en Belgique grâce à son climat, à ses sols favorables et aux rentrées financières non négligeables pour les agriculteurs en ces périodes difficiles de mondialisation des produits agricoles, elle n’en reste pas moins une culture décriée pour ses aspects environnementaux. La cuture de pomme de terre est une très grosse consommatrice de pesticides pour lutter contre ses ennemis jurés : le mildiou et les doryphores.

En agriculture conventionnelle, on passe 12 à 20 fois avec le pulvérisateur si on veut gagner la guerre contre le mildiou. Ce champignon n’épargne pas non plus l’agriculture bio qui pulvérise ses champs cinq à six fois avec de la bouille bordelaise pour limiter les dégâts. Oui mais, voilà, la bouillie bordelaise, même si elle est homologuée en bio, elle contient du cuivre, un élément trace métallique toxique pour l’environnement.

« Tant qu’à faire une pomme de terre bio, autant y aller jusqu’au bout et ne pas mettre de cuivre sur mes terres. Pour cela j’ai misé sur les variétés résistantes. »

La recherche met au point des variétés résistantes à certaines maladies, elles sont plus chères, elles ne fournissent pas toujours les critères indispensables à la production de gros dans les chaînes de transformation en frites, chips et autres dérivés, et sont donc peu utilisées.

A la ferme du Tri al Mé, la récolte a commencé. Si la technique classique veut que l’on arrache toute la récolte en une fois et qu’on la stocke, rendant ainsi la terre libre pour une autre culture et s’assurant d’une qualité de conservation homogène, ici on va tenter de profiter du sol pour conserver les précieux tubercules jusqu’à la mi-octobre. Ils seront récoltés au fur et à mesure des ventes à la ferme. « Classiquement, les pommes de terre reçoivent un traitement anti-germinatif pour tenir à la conservation », explique Eddy Hermans.

« Une alternative c’est le frigo, allié à une variété de longue conservation. Mais ça consomme beaucoup d’énergie. Les consommateurs sont parfois surpris et déçus de constater qu’après quelques  semaines leurs pommes de terre bio commencent à germer. »


Les trois secrets pour avoir la patate

La culture de la pomme de terre bio zéro phyto n’est pas généralisable pour le moment. Un spécialiste nuance les éléments de la réussite.

Daniel Ryckmans est conseiller technique à la FIWAP, l’ASBL subventionnée par la Wallonie pour conseiller les producteurs de pommes de terre et structurer la filière. Depuis quelques années, il encadre aussi les producteurs bio.

Que pensez-vous de cette technique « zéro phyto » en pomme de terre bio ?

« Je dis d’abord prudence, prudence, et encore prudence. Se passer de fongicide n’est possible que parce qu’on utilise des variétés résistantes au mildiou. Les maisons de sélection et le Centre wallon de Recherches agronomiques mettent 10 ans pour sélectionner et développer des clones résistants. Mais ce n’est pas éternel. Le champignon peut muter et contourner la résistance variétale. Il est alors indispensable d’éradiquer tout de suite les foyers de la maladie. Sinon elle peut se propager dans d’autres champs. En quelques années une variété peut ainsi perdre sa résistance. Ce serait dommage de perdre 10 ans de travail en généralisant le zéro phyto.

Après le mildiou vient le doryphore. Je suis convaincu que la pomme de terre bio a de l’avenir mais c’est actuellement très compliqué de contourner cet insecte sans phyto. Il existe des produits agréés en bio. Des recherches sont en cours aux Pays-Bas entre autre. L’idée est de cultiver la pomme de terre en bandes alternées avec d’autres cultures ou de l’associer à une autre culture pour diminuer la pression des doryphores. 

L’écoulement de la production de pommes de terre bio n’est pas à négliger non plus. Sur les 98.000 hectares de pommes de terre produites en Wallonie, seuls 900 hectares sont cultivés en bio et les producteurs ont parfois du mal à écouler leur production. Cette année certains d’entre eux ont donné leurs pommes de terre bio à leurs vaches faute d’acheteur. Pourtant la Belgique n’est pas auto-suffisante en bio. Un développement est possible mais un équilibre doit être trouvé avec la distribution. Les grandes surfaces avec pignon sur rue en Belgique s’approvisionnent aussi en Allemagne, en France et aux Pays-Bas

Pourtant certains agriculteurs y parviennent.

« Les secrets d’Eddy Hermans c’est d’abord qu’il s’est créé un marché. Ensuite, il a planté tôt lui permettant d’éviter les dégâts du boom de doryphores.  Enfin, pour éviter le mildiou, il a choisi des variétés résistantes et les a plantées sur une terre indemne de pommes de terre depuis longtemps, sans champs de patates à proximité immédiate. »