Une Fastnet au féminin

Ou le récit de l'épopée qui m'a transformée... en journaliste !

 

Une Fastnet au féminin

Casting ou comme à la bourse quand on prend des risques on peut perdre beaucoup mais on peut aussi toucher le gros lot

Février 2011, le co-skipper du JOD 35 Ice White me contacte pour me proposer de participer à la Fastnet sur le bateau. La Fastnet, course au large mythique pour tous les marins... Sous mes yeux défilent déjà la mer celtique, la brume, les repères de pirates dans les rochers, les dauphins, le rocher du Fastnet, les vagues en pleine figure, les magnifiques voiliers de course qui ont déjà parcouru toutes les mers du globe. L’appétit grandit devant cette proposition d’un festin de mer.

Les critères pour rejoindre l’équipe ? « Etre joviale, volontaire, … » … et implicitement, avoir des compétences confirmées en navigation. Le skipper me confirme par mail « Nous serions ravis de t’avoir à bord ». Le noyau de l’équipage est vite formé. Quasi que des nouvelles têtes pour Sébastien de Liedekerke, le skipper. Un vrai pari. Tout le monde ayant une vie de famille et professionnelle bien chargée les entraînements furent peu nombreux, l’objectif principal étant de faire connaissance avec le bateau et les autres équipiers.

 

Les préparatifs, organisation et opiniâtreté de rigueur.

Dès le mois de mars s’engage une course contre la montre pour répondre dans les temps aux critères d’inscription très exigeants du RORC qui organise la course : formation ISAF de survie en mer pour 30% de l’équipage, brevet de premiers secours avancés, au moins 300 milles parcourus sur le bateau avec la moitié de l’équipage, et armement du bateau en catégorie 2 pour la course au large, signifiant l’installation à bord de multiples équipements de sécurité additionnels. Mi-juillet, nous atteignons enfin notre 1er objectif avec la confirmation de notre place parmi les 350 participants au départ.

Vendredi 12 août. Avec 36 heures au près dans 7 Bft établis et des pointes à 8 Bft, le convoyage de Nieuwpoort vers Cowes a été très musclé. Les deux tiers des équipiers de la course y ont pris part et arrivent à Cowes sur les genoux l’avant-veille du départ. Le bateau est également sur les rotules, trempé jusqu’aux cou et a subi quelques avaries à réparer d’urgence. S’ensuit un sprint final épique, de shipchandler en voilerie, de chantier en boutique télécom qui ne se terminera que le dimanche matin pour couvrir la cinquantaine de points encore à régler avant le départ.

Notre grand frère Ice Black, Open 45 parti un jour plus tard de Nieuwpoort est entretemps arrivé le samedi à l’aube et vient s’amarrer à nos côtés. Sympa de se retrouver en équipe agrandie. Mais on a vraiment l’air de hollandais en camping à côté de cette bête de course.

 

Le grand départ, enfin !

Samedi 13 août, veille du départ. J’ai la chance de participer au briefing des skippers avec Sébastien et d’être ainsi plongée dans l’ambiance de départ de la course et du village Fastnet à Cowes sur l’île de Wight. Une note de bling bling propre au monde de la voile anglaise me confirme que la voile anglaise et française sont nées sur deux continents différents. Nous sommes environ 200 à participer au briefing. Je note environ 1% de femmes et quelques vieux bedonnant qui n’ont l’air de rien. Mais méfions nous des eaux dormantes… On parcourt ensuite les ruelles du village. On ne m’avait pas menti, c’est bien ici la Mecque de la voile où tout pèlerin peut repartir avec sa garde-robe de marin bien relestée.

Dimanche 14 août, 11h30. Pas évident de rejoindre une ligne de départ au milieu de 350 bateaux qui prennent eux-mêmes le départ à des intervalles de temps séquencés. Pas évident non plus de trouver le bon timing et le bon endroit pour passer une ligne de départ définie comme « l’alignement de la ligne blanche sur le diamant de la façade du Royal Yacht Squadron avec le mât portant un drapeau rouge sur la côte ». 11h50, ça y est ! Notre 2ème objectif est atteint, nous sommes partis ! Je profite à fond de cette ambiance grandiose en tant que « numéro 1 » à l’avant du bateau. Il n’y aura d’ailleurs pas que de l’ambiance dont je profiterai, les lois immuables de la nature m’étant vite rappelées : l’eau ça mouille, c’est froid et ça s’infiltre dans les moindres recoins, surtout lors d’une descente musclée du West Solent au près, vent de 20 noeuds contre courants de 4 noeuds.

Passées les Needles, nous passons progressivement du mode « régate inshore 3 bouées » au mode « côtier » et la navigation en quarts s’installe. L’amarinage commence, mon english breakfast du matin profite aux poissons.

 

La navigation au fil des jours

Lundi 15 août. La journée est passée à bricoler sous un vent soutenu de 4 bft et une mer houleuse. On a bien cru qu’une escale allait devoir s’imposer tant les avaries se sont enchaînées après le départ : tuyau de gaz sectionné, en-base du hale-bas détachée, électronique en rade dans le cockpit. Les premières 36 heures sont dures pour le moral, comme si la course voulait nous faire comprendre qu’elle se mérite. Les bricoleurs du bord parviennent finalement à résoudre tous ces soucis mais notre classement a pâti de ces déboires : nous oscillons alors autour de la 60e place sur 70 dans notre classe.

La nuit de lundi à mardi fut pour moi un mauvais rêve. La question « Que diable suis-je venue faire dans cette galère » m’a hanté l’esprit avec insistance alors que j’étais blottie dans mon sac de couchage humide, sous la coque qui amplifiait les bruits de l’eau, du vent, et des mousquetons de harnais qui courent sur le pont. Tout d’abord ce fut le passage brusque de la bôme qui empanne et le long coup de corne d’un chalutier avec lequel nous avions juste manqué d’entrer en collision.  Ensuite, ce fut dans la foulée une mauvaise chute de Laurent et une arcade sourcilière ouverte refermée aussitôt au Steri-strip par Sébastien. Je n’ai pas dormi et pourtant je m’efforçais de faire semblant en espérant que les garçons aient pitié de moi et prennent ma place pour mon quart. Que dalle … Ils n’ont même rien remarqué du tout. Machinalement je me suis habillée et suis allée ne faire qu’un avec la barre et tout est rentré dans l’ordre. A l’extérieur, je ne subissais plus. Mon moral vira de 180 degrés et me voila repartie sur le bon pied.

Mardi 16 août. Nous sommes entrés en Mer celtique et avec elle voyons nos premiers dauphins. La traversée vers le Fastnet est plutôt contrastée : commencée de nuit dans 5-6 Bft et les restes d’une dépression qui a bien secoué les premiers de la flotte mais nous a relativement épargnés, elle se poursuit dans le petit temps. On fait confiance au logiciel de routage qui nous recommande une route au Nord en prévision d’une bascule de vent. On s’éloigne de la flotte, la bascule tarde à venir, on s’inquiète, on doute, on peste. Finalement Eole a raison de notre angoisse et nous propulse pour toute la nuit suivante droit vers le Fastnet à 8 nœuds de moyenne, nous permettant de grappiller au passage 10 places au classement.

Mercredi 17 août. Depuis bien avant l’aube, nous apercevons au loin le flash du phare du Fastnet, dont le sommet apparaît enfin au petit matin. Le petit jour dévoile également une cinquantaine de concurrents qui se sont donné rendez-vous pour enrouler le rocher. On sort le spi. Une pétole nous encalmine tous et nous laisse davantage profiter de ce moment exceptionnel et de ces paysages de « steppes humides irlandaises ».  A 09h06m33s précises nous passons au nord du phare, en 50ème position dans notre classe. Le rocher mythique en profite pour nous saluer à sa manière, avec le constat de nos dernières avaries : perte de la latte forcée en tête de grand-voile (Damien doit monter en tête de mât) et hale-bas de bôme définitivement inutilisable… Un prix somme toute raisonnable comparé à celui payé par Rambler 100, mastodonte de la flotte IRC qui 36 heures plus tôt perdait sa quille et chavirait exactement au même endroit, heureusement sans faire de victimes.  Pour nous, le retour s’annonce rapide avec 4 Bft prévus au bon plein/travers jusqu’à l’arrivée…

 

En vue de l’arrivée

Jeudi 18 août. Après une traversée éclair de la Mer Celtique nous passons les îles Scilly au petit matin, au milieu des rochers et d’une dizaine de concurrents. A hauteur de Wolf Rock, un match race acharné s’entame entre nous et un britannique, au son de la musique endiablée crachée par nos haut-parleurs de cockpit. En milieu d’après-midi, nous rattrapons le reste de la flotte encalminée dans les courants contraires à hauteur de Lizard Point. Passage en finesse au plus près des falaises et dans les remous de la renverse de courant, entourés d’une cinquantaine de concurrents. Parfois à moins de deux longueurs des autres voiliers, c’est littéralement, quatre jours après le premier, un nouveau départ pour la dernière ligne droite de 40 milles avant l’arrivée à Plymouth !

Vendredi 19 août. Peu après minuit, l’arrivée est proche. Septante bateaux régatent au contact et leurs feux forment un grandiose décor de guirlande de noël. En vue de la ligne, le vent tombe soudainement et scotche toute la flotte courant dans le nez. Il nous faudra deux heures de concentration extrême pour parcourir le dernier mille. Dans ces conditions rudes pour les nerfs, c’est un peu la loterie et une dizaine de places peuvent aisément se gagner ou se perdre sur les derniers mètres. Pointés brièvement en 33ème position peu après minuit, nous franchissons finalement la ligne à 02h36m54s, 44ème sur 70 dans notre classe et 168ème sur 277 au général. Notre 3ème objectif, ramener le bateau et les équipiers à bon port, est atteint, et de belle manière ! La liesse s’empare de l’équipage, toute la tension tombe d’un coup, les lampes frontales clignotantes, la musique et la bière transforment le bateau en boîte de nuit. On rentre à la voile au port pour faire durer le plaisir de cette arrivée. Une fois à Plymouth, c’est la fête non stop au port, les discussions de ponton interminables et l’english breakfast bien gras et bien mérité de l’arrivée. On ne regagnera nos bannettes qu’à 11h du matin, des étoiles plein les yeux.

 

Le mot de la fin

Comme l’indien doit accomplir un rite initiatique pour mériter son totem d’adulte, il en fut de même pour notre JOD 35 qui en bouclant sa première Fastnet fait maintenant partie de la cour des grands. Cette aventure, bien préparée, est accessible à tout marin qui en veut. Avis aux amateurs, qui sera le suivant … ou la suivante ?